Yum-Cimil, "Parfois"

Puisqu’il parait que certaines choses se doivent d’être conservées, j’entame ces pages blanches. Jaunes plus que blanches, d’ailleurs. C’est joli, la peau de bouftou mort-né, et utile. Mais ça boit l’encre trop vite, avalant lignes après lignes. Ça ne reste jamais blanc. Enfin jaune.
L’inconvénient de l’encre de kralamoure, en plus d’être chère, c’est qu’elle est relativement indélébile. Ce qui est un problème majeur, quand on est, comme moi, incapable d’écrire. Autant je suis tout à fait capable de réciter en entier l’épopée de Qarc, le Sram pourfendeur de Craqueleurs, autant je suis incapable de garder un esprit clair, concis et précis quand j’écris. Après tout, j’ai appris à écrire très tard. Mais passons.

Si je dois inscrire ici qui je suis, alors qu’il en soit ainsi :
Je suis une, seule et indivisible, trinité latente, nommée Yum-Cimil, débaptisée et rebaptisée illico-presto et avec un certain goût pour l’évidence « Parfois ». Mais je suis tout aussi « feuille » que « pierre », « zaap » ou « blop », à mon grand désespoir. J’ai tendance à me renommer en fonction de ce que je vois. Après tout, un nom, ce n’est rien, et le mien manquant de sens, j’en change souvent.
Quant à ma nature, voilà ce que je peux aujourd’hui dire :
Grâce à la prévoyance de mes parents, il se trouve que j’ai été élevée dans l’amour de la déesse Féca. Disciple féca suis-je donc. Inquiets de ce que ma mère appelait mon « manque de concentration » mes parents me proposèrent une voie sage, calme, et relativement sûre. Malheureusement pour eux, j’ai encore beaucoup de mal à ne pas oublier de lancer mes armures, ce qui m’a valu quelques déconvenues cuisantes. Ceci dit, ce n’est pas tellement d’un manque de concentration dont je souffre, mais plus d’une capacité de dispersion hors du commun. Mais pour des parents protecteurs, c’est un peu la même chose.

Mon enfance s’est passée tranquillement, rien à dire. Par contre, arrivée autour des quinze printemps, alors que je n’arrivais péniblement qu’à tuer de pauvres tofus - mon père chasseur m’emmenait souvent avec lui, dans le but de m’endurcir – je fis la rencontre d’un homme, déjà âgé. Edrab, ainsi les spectateurs l’appelaient, scandant son nom tandis qu’il saluait. C’était un conteur qui ravissait les foules. Plus tard, lorsque je fus devenue sa disciple, j’ai appris qu’il n’en avait pas toujours été ainsi, et, comme j’en fis – et j’en fais toujours – l’expérience, rares sont les gens encore capable de se poser quelques instants et d’écouter une histoire ou un chant.
C’est Edrab qui m’apprit à lire et à écrire. Il me fit commencer par la retranscription des comptines de mon enfance – le Milimulou et les Araknées, une de mes préférées – avant de me permettre de me plonger dans les récits fondateurs des Conteurs. C’est à peu près à cette époque que mon chemin croisa celui de Reshkigam, mais ceci n’est pas mon histoire.
Enfin, les années passèrent, souvent cruelles. Mon père, puis Edrab moururent, et ma mère devint sénile. J’ai continué ce que je savais faire de mieux, ce qu’Edrab m’avait enseigné. Je crois que je n’aurais pas put choisir meilleure voie.

Si j’écris ces pauvres lignes, ce n’est pas tant que j’espère une postérité glorieuse. Reshkigam me l’a demandé, je le fait.